Cap au large

À la rencontre des Amérindiens

01 décembre 2019

Durant l’été 2016, Julliette Guilloteau de l’Église protestante unie de Poitiers est partie deux mois à Wellpinit, dans l’état de Washington (États-Unis), vivre et travailler dans la réserve des Indiens de Spokane pour une organisation américaine à but non lucratif, visant à aider les communautés minoritaires dans l’ouest des États-Unis.

Il peut parfois nous être difficile d’imaginer la vie d’une communauté dont nous ignorons presque tout. C’est encore plus compliqué si elle se trouve de l’autre côté de l’océan et que les médias couvrent peu ou pas les événements qui la concernent. Il est alors facile de rester cantonné à des théories largement dépassées qui ne sont plus d’actualité. Et c’est normal, personne ne nous dit ce qui est correct ou erroné. Le manque d’information nous pousse à développer des stéréotypes et des idées préconçues qui peuvent aller jusqu’à offenser les parties concernées.

Des idées préconçues

Avant de partir, j’avais développé une certaine image des tribus amérindiennes : « Vivent-ils toujours dans un tipi ? Portent-ils des plumes ? Y a-t-il une danse de la joie ? Un calumet de la paix ? » Après deux mois à côtoyer des membres de la communauté, certains devenant des amis très chers, mes idées préconçues se sont rapidement envolées. Par exemple, Terry aime prendre des nouvelles de ses proches sur Facebook, regarder les vidéos drôles d’animaux et cuisiner du pain aux courgettes. Gene, son mari, nourrit les vaches, aime son chat Big Kitty et regarde « L’incroyable Docteur Pol », une émission qui suit le quotidien d’un vétérinaire du Michigan. Ils sont tous les deux grands fans des Seahawks, l’équipe de football américain de Seattle. Mon ami Warren adore l’histoire et partager ses connaissances avec son entourage. Il aime le sport et travailler avec les jeunes. Ils ont tous des ancêtres amérindiens, ou le sont eux-mêmes, et habitent dans la réserve des Indiens de Spokane.

Un vaste territoire

Historiquement, la tribu des Indiens de Spokane se composait de trois « bandes » bien distinctes, bien qu’on y réfère sous un seul même nom. Les trois tribus s’unissaient seulement en temps de guerre, mais la mobilité de chaque individu entre les trois différentes tribus était bienvenue – un enfant pouvait avoir un parent de deux tribus sans que cela soit mal vu. Bien avant que l’Amérique soit « découverte » par Christophe Colomb, les membres de la tribu des Indiens de Spokane, peuples semi-nomades, se déplaçaient sur un territoire d’environ 12 000 kilomètres carrés dans les régions à l’est de l’état de Washington et dans les états de l’Idaho et du Montana. La pêche au saumon constituant un élément clé de leur culture, ils s’installaient le plus souvent près des berges de la rivière Spokane. Le chef de la tribu était choisi en fonction de ses richesses, le nombre d’épouses qu’il avait, et, après que les chevaux furent introduits sur le continent, le nombre de chevaux qu’il possédait. Son arbre généalogique importait peu. Plus tard, lorsque les Européens s’installèrent en Amérique, le chef était aussi choisi en fonction de sa connaissance de « l’organisation de l’homme blanc », afin qu’il sache protéger la communauté et négocier avec les Européens.

Des traditions toujours présentes

De nos jours, les tribus amérindiennes ont un gouvernement tribal et sont des nations souveraines au sein de la nation américaine. Leur système gouvernemental est similaire au système fédéral américain. Il se compose d’un Chef, souvent appelé gouverneur ou président, élu par la communauté ; le Conseil Tribal, dirigé par une chaire tribale, a le pouvoir de créer des lois pour la communauté, et le système juridique tribal impose ces lois et gère les conflits au sein de la nation tribale.
Étant donné que les tribus amérindiennes sont considérées comme des nations au sein de l’État américain, on pourrait croire que leur mode de vie s’est complètement « américanisée ». Cependant, leur histoire, leur culture et leurs traditions sont bel et bien toujours ancrées dans leur quotidien et des initiatives sont sans cesse mises en place pour sensibiliser les plus jeunes générations à la préservation de leur héritage culturel. Au collège, la Wellpinit Middle School, une semaine appelée « semaine culturelle » est organisée chaque année. Pendant ces quelques jours, les jeunes s’attellent à des activités que leurs ancêtres pratiquaient : le tissage, la fabrication d’objets en perles, la cuisine traditionnelle du saumon, la pratique du jeu de « stick ». Pour le Nouvel An, Terry m’a emmenée au gymnase du collège pour assister à un powwow, un autre moment culturel important dans les coutumes amérindiennes. J’ai pu admirer les danseurs aux tenues traditionnelles bougeant au son de percussions presqu’envoûtantes. Pour mon œil amateur, les danses avaient toutes l’air similaires, jusqu’à ce que Terry m’explique que dans le seul groupe de danseuses que nous étions en train de regarder, trois danses différentes étaient exécutées. C’est lors de cette soirée que j’ai compris le sens du mot « communauté » : des plats avaient été apportés par plusieurs personnes pour constituer le buffet, et au début du repas, les jeunes ont naturellement laissé les plus âgés se servir en premier par respect pour leur ancienneté. Chacun prenait des nouvelles de son voisin et si le froid glacial régnait à l’extérieur, l’ambiance dans la salle était chaleureuse et accueillante.

Une histoire à partager

Malgré l’omniprésence de l’influence américaine et du « rêve américain » dans les mentalités, peu de gens savent que New York abrite en fait la plus grande proportion d’habitants amérindiens des États-Unis – environ 112 000 pour 8 millions d’habitants. La Californie, quant à elle, est l’État où réside le plus grand nombre d’individus ayant un héritage amérindien : 109 tribus sont reconnues par le gouvernement fédéral américain et environ 100 réserves amérindiennes sont dispersées dans l’État. Il est important que leur histoire soit partagée, écoutée, appréciée. C’est l’histoire de centaines de peuples que l’homme a voulu effacer lorsqu’il était habité par la quête du progrès et l’expansion. Néanmoins, c’est en supprimant les clichés et en restituant la vérité que nous participons à la mise en lumière et la reconnaissance des cultures et coutumes variées amérindiennes qui font la richesse du continent américain.

Juliette entourée de Randy Bowen Jr. (à gauche) et Dale Sebastian
en tenue traditionnelle, lors du Powwow du Nouvel An.
Au-dessus, le tableau de score de basket montre à quel point
le sport est omniprésent dans les réserves © Terry-Payne
 
Juliette Guilloteau

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