Aumônerie des prisons

01 mars 2018

Quelques visites lors d'une grève

La grève des surveillants de la mi-janvier dernier bat son plein, mais les visites continuent au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes. J’écris mon compte-rendu de visite afin d’informer les autres aumôniers protestants de l’équipe.

Il dit combien la prison est dangereuse pour les jeunes
©Pixabay

 

Devant la prison, tout était noir, des tas de résidus de pneus étaient encore fumants et l’odeur était nauséabonde ! La tension était palpable. Un chef de bâtiment avait une minerve, je lui ai demandé pourquoi : une altercation avec un CRS… Au bâtiment C, il y a eu un blocage à cause d’une agression en promenade, un détenu est arrivé, le tee-shirt maculé de sang, pendant qu’un autre venait me serrer la main « Ah, ma sœur, vous êtes revenue ! »

 

Et s'il était innocent ?

Visite à Clément, ado de 18 ans, un peu mou, il faut toujours que je lui tire les vers du nez. Tout le monde semble très inquiet à son sujet. Le surveillant m’a dit « Le matin, quand j’ouvre sa porte, je vais vérifier s’il est toujours vivant… » Et sa mère qui croit qu’il est « aux petits oignons » ! J’ai fait tout mon possible pour lui montrer que je m’intéressais à lui. Au bout d’un moment, assis en tailleur sur son lit, il m’a regardée en biais et a dit avec un sourire un peu gêné : « Et si je vous disais que je n’y suis pour rien ? Que je n’ai rien fait ? ». Seulement à ce moment, il s’est mis à parler, et à me regarder. Et peu à peu, ce que je prenais pour une stratégie pour le jugement m’a semblé vrai. J’en suis encore bouleversée. Depuis le mois d’août où je l’ai rencontré aux arrivants, il est isolé dans une cellule sans pouvoir beaucoup cantiner, n’est jamais sorti en promenade, est accompagné pour la douche. Je ne peux bien sûr pas l’affirmer, mais j’ai un fort doute quant à sa culpabilité, cela expliquerait tellement bien tout ce que je ne parvenais pas à comprendre. Pour la première fois, je l’ai vu se comporter de façon normale, reprendre vie, se lever avec vivacité pour me montrer quelque chose avec enthousiasme ; il a parlé de lui, de ce qu’il ressentait. 

 

Échanges autour d'un livre

Je suis ensuite allée rencontrer Sofiane que j’avais déjà vu une fois, à sa demande. Très bonne discussion qui s’est engagée sur le terrain de la religion, qui le préoccupe beaucoup. Il lit des livres qu’on lui donne, qu’il accueillait avec un certain scepticisme au départ mais qui le surprennent de plus en plus par leur pouvoir de conviction. Il m’en a donné un (Prophéties et Signes de la fin du monde !) pour que je le lise et que nous puissions en parler. Je lui ai dit que je lui en passerais un aussi car j’avais très envie de pouvoir en discuter avec lui. Je suis enchantée de cette démarche de la part de ce jeune musulman qui a besoin de repères et se prête avec sincérité au débat.

 

Très jeune et très lucide

Kevin souhaitait me rencontrer. Primo-arrivant parisien de 18 ans, il s’est bien intégré à la prison. Ses trois frères sont aussi incarcérés, la délinquance fait partie de son quotidien depuis toujours. Et pourtant il est agréable, ouvert et très lucide sur sa situation. Sa famille lui manque mais il s’estime bien loti, cet échec en début de « carrière » lui évitera peut-être de commettre pire. Il dit combien la prison est dangereuse pour de jeunes délinquants inexpérimentés. Mineurs et majeurs sont en contact et se font passer tout ce qu’ils veulent de fenêtre à fenêtre. Les « anciens » forment les plus jeunes qui peuvent en sortant diversifier leurs terrains d’action après ce stage intensif…

 

Témoignage accablant

Chez « Rateau » (son surnom), j’ai droit à un accueil princier, il était tellement heureux de pouvoir me recevoir « comme il faut » : vrai café (j’espère que je dormirai cette nuit !), chocolats, il a fallu que je reparte avec une poignée emballée dans un kleenex (pour ma petite !). Il m’a aussi offert le dernier livre de Harry Potter que j’ai déjà lu. J’ai accepté car j’ai compris que me faire ces cadeaux était le plus important pour lui. Il m’a raconté son histoire, une fois de plus, on est abasourdi par les dégâts causés par la justice et la prison.

 

Sabine VALOIS,

Aumônière au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes

 

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