Chronique locale

Aumônerie des prisons

01 mai 2018

Paroles de liberté

Parler, enfin, puis écrire ses souffrances 
pour s'en libérer ...
©Pixabay

 

Lors de mes visites, je suis toujours fascinée par la force libératrice de la parole. Pour beaucoup, même récalcitrants au départ, parler à un interlocuteur compatissant, peut-être médiateur d’une autre entité spirituelle, devient une nécessité soudain irrépressible : besoin de dire et dire, de laisser couler larmes et peines, douleurs et révoltes parfois insoutenables accumulées depuis le plus jeune âge.
Certains ponctuent leur récit de vie de « putain, ça fait du bien ! » et lorsque je les quitte, il arrive que nous soyons vraiment fatigués physiquement mais habités d’un bonheur profond : bonheur de la rencontre, de la confiance partagée ; le chaos initial où sont emmêlées souffrances et culpabilités a commencé à s’ordonner.

La carapace s'ouvre
Samedi après-midi, les surveillants me demandent de rencontrer un arrivant qui s’est fait agresser en promenade. Jean-Philippe m’accueille avec un regard très noir : « Une aumônière ? Bof… peut-être plus tard, je vous enverrai un message ». J’insiste un peu et il me suit dans la bibliothèque, pas très motivé. On « se renifle », il me pose aussi des questions et la conversation s’engage, de plus en plus personnelle. Il va me raconter des choses affreuses, des sévices qu’il a subis enfant, à peine imaginables. Il pleure, moi aussi sans doute. « J’aurais peut-être dû parler plus tôt ? », demande-t-il. « Je refuse tout, dit-il : pas de psy, pas d’audience, pas de sortie, tout. » Mais il accepte d’écrire et me donnera ce qu’il écrit et tient à pouvoir me parler à nouveau. Une carapace de douleur s’est entrouverte, je pense qu’elle ne va pas se refermer, on verra...

Il a encore tant à dire
Le surveillant frappe à la porte : « Il va falloir finir. » « Quelle heure est-il ? » « 18h ! » Je reverrai Jean-Philippe trois jours plus tard dans la cellule qui lui a été attribuée, tellement surpris et touché que je ne l’ai pas oublié. « Elle vient pour moi », dit-il plusieurs fois aux personnes autour de nous. Il a un matelas par terre, aimerait bien « un slip et des chaussettes », il n’a pas pu fumer depuis trois jours car il n’a pas de tabac, ses mains tremblent, il ne se sent plus capable d’écrire, attend d’avoir des cigarettes pour cela. Mais il me montre les dix pages recto/verso à l’écriture serrée qu’il a déjà rédigées. Il ne me les donne pas encore, c’est lui qui décide. Il a encore tant à dire : « Vous m’amènerez un cahier, avec des petits carreaux, hein ? »

Sabine VALOIS,
aumônière protestante de la maison d’arrêt d’Aix-Luynes

 

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