Folles idées

Ces pierres qui tuent nos Églises à feu lent

01 janvier 2018

Nos Églises locales sont souvent bien dotées sur le plan immobilier : temples, locaux d’activités, terrains de jeu, presbytères… Propriétaires ou affectataires (depuis 1802 ou 1905), nos associations cultuelles bénéficient d’une situation patrimoniale confortable.

Mais faut-il nous en réjouir ? Il se pourrait bien qu’ici ou là nos pierres finissent par tuer l’Église à feu lent. Nous en voyons déjà les signes… 

Un coût important

Le premier signe évident, c’est le coût d’entretien. Nous n’entrerons pas dans un débat sur les chiffres ici, mais pour beaucoup d’Églises locales, l’entretien des bâtiments représente des investissements importants et récurrents, alors même que les recettes des Églises locales ne cessent de diminuer. À terme, si nous n’y prenons garde, nos associations cultuelles finiront par être des gestionnaires de parcs immobiliers là-même où il n’y aura plus de vie d’Église. Les impôts locaux, les travaux d’accessibilité, les mises aux normes, l’entretien courant (toiture, isolation, chauffage) ne cessent d’alourdir les charges immobilières pour des Églises locales dont l’affluence diminue. Ajoutons encore ces lieux coûteux qui ne servent que pendant les périodes estivales et pour un public « saisonnier » qui pourrait être accueilli avec d’autres solutions.
Un deuxième signe, c’est lorsque les locaux organisent la vie de l’Église. Ici ou là, j’observe que l’on construit la vie de l’Église autour des bâtiments, et tout particulièrement des lieux de culte.
 
Temple français de la Friedrichstadt à Berlin © Guillaume de Clermont

On construit le planning des cultes, non plus en fonction des membres de l’Église ou des objectifs de témoignage, mais pour occuper des lieux de culte, au motif que c’est un moyen de se rapprocher des « usagers », où bien qu’il faudrait à tout prix utiliser nos temples pour ne pas risquer d’en perdre l’affectation !
Je pense à quelques Églises locales de notre région, affectataires de nombreux temples, qui s’épuisent à y organiser des cultes en regrettant l’émiettement de plus en plus grand de la communauté. Une Église locale doit avoir un lieu de ralliement central, un lieu de culte « principal » qui sert de référence. Et je ne crois ni au risque de nous voir déposséder d’un temple par une commune au motif que nous ne l’utiliserions pas assez (et si cela se produisait, il vaudrait la peine de réfléchir à l’opportunité de se débarrasser d’un tel temple), ni au risque de perdre des membres parce que les activités cultuelles ne se dérouleraient plus alternativement dans les différents temples : si nous en arrivions là, cela serait le signe d’une Église sclérosée et prisonnière de ses pierres !

Des lieux de cultes dépassés et décalés

Un troisième signe auquel il nous faut être attentif, c’est le décalage de plus en plus grand entre la vie communautaire que nous souhaitons, et la réalité de nos lieux d’activité. Si nous sommes conscients que l’accueil, l’ambiance de nos lieux, la sonorisation, l’éclairage, la convivialité, le confort, etc. sont autant d’éléments essentiels pour fidéliser le public et créer les conditions optimum d’une vie communautaire chaleureuse, en bien des endroits, nos lieux d’église cumulent tous les handicaps : chauffage insuffisant et coûteux, confort du mobilier austère (bancs ou chaises anciennes), organisation de l’espace cultuel figé (chaire inamovible, table de communion massive, pupitre fixe pour la sono, etc.), acoustique redoutable (réverbération, mauvaise sonorisation, pas d’équipement pour les personnes malentendantes etc.), taille inadaptée (des grands espaces pour une petite assemblée). Certes, les « vieux » huguenots qui liront ces lignes sont tellement familiarisés avec ces situations qu’ils souriront à la lecture ; mais interrogeons sérieusement des membres nouveaux venus dans nos Églises, ou bien nos enfants et petits-enfants, ou bien encore tel visiteur à l’occasion d’une journée du patrimoine sur ce qu’ils pensent vraiment de nos lieux d’église et nous serons surpris. Les temps ont changé. Et ce qui ne suscitait pas la moindre question autrefois devient aujourd’hui un obstacle très important au témoignage et au rayonnement de nos Églises locales.
Enfin, un dernier point essentiel. Je constate de plus en plus que nos bâtiments, leur taille, leur nombre, parfois leur implantation, ne correspondent plus à la réalité humaine de nos Églises.
Nombreux temples pour de petites Églises locales très réduites. Ou bien temples utilisés seulement l’été. Ou bien terrains ou espaces mal valorisés parce qu’utilisés pour des activités très modestes au regard des possibilités des lieux. Nous conservons précieusement dans nos murs et nos vieilles pierres les traces de l’Église d’hier alors qu’il nous faut bâtir l’Église de demain.

Les pierres qu’on aime

Nous aimons nos lieux d’Église. C’est tellement vrai que la moindre discussion pour nous séparer d’un temple ou d’un lieu d’Église, crée immédiatement des tensions, au point que les Conseils d’Église craignent toujours d’en assumer la responsabilité.
C’est tellement vrai que nous arrivons même à mobiliser des dons (souvent très importants) pour consolider des vieux murs alors qu’au même moment l’argent pour financer des postes pastoraux diminue. N’ai-je pas entendu ici ou là des membres de Conseils presbytéraux défendre l’idée qu’il fallait faire des réserves au cas où il faudrait faire des travaux, sans réaliser qu’à terme la diminution des contributions financières conduirait à supprimer les postes pastoraux ?
Oui, nous aimons nos pierres.
Mais je finis parfois par me demander si nous ne sommes pas plus courageux pour entretenir nos vieux bâtiments (nés du témoignage des générations passées !) que pour proclamer l’Évangile aujourd’hui, lire la Bible avec nos contemporains, nos enfants, nos petits-enfants. Le risque, c’est de voir peu à peu nos bâtiments bien entretenus se vider et de devoir en faire tôt ou tard des musées.
Je sais bien que la lecture de ces lignes fera bondir certains lecteurs. Qu’ils veuillent bien m’accorder leur indulgence. À chaque Église une histoire, un contexte, une situation singulièrs. Et mon expérience pastorale m’a enseigné combien la question des « pierres » est sensible. Mais la fonction que j’occupe m’oblige à mettre en relief quelques questions fondamentales avant qu’il ne soit trop tard.

Ces questions qu’il nous faut nous poser

Église Saint-Pierre le Jeune à Strasbourg © Guillaume de Clermont
  Quelle est notre vocation première ? Annoncer l’Évangile dans une perspective missionnaire ! C’est-à-dire avec le souci de rejoindre nos contemporains là où ils sont, avec une bonne prise en compte des modes de vie actuels, des rythmes de vie, et des lieux où les personnes aiment se retrouver. Nos lieux d’Église sont-ils bien adaptés à cette mission ?
Où se joue notre fidélité au passé et comment honorer les générations qui nous ont légué nos lieux d’Église ? En témoignant avec enthousiasme de l’Évangile, en transmettant la joie de la lecture de la Bible, en nous engageant au service du prochain pour que nos actes soient des signes visibles de l’amour de Dieu pour l’Humanité. Nos lieux d’Église facilitent-ils cette perspective ?
Finalement, nos locaux, nos temples, nos lieux d’Église, à quoi servent-ils ?

Ils sont des lieux de visibilité, parfois des lieux de mémoire et d’histoire. Mais ils sont d’abord et surtout des lieux de rencontre, d’accueil, et de ressourcement. Des lieux dans lesquels il fait bon vivre, se retrouver, louer, chanter, prier, manger, festoyer. Des lieux dans lesquels chaque génération doit pouvoir se sentir bien, avec ses codes, ses habitudes et ses langages. Bref, des lieux, où vraiment, chacun prend plaisir à rencontrer Dieu dans la diversité des hommes et des femmes qui s’y retrouvent.
Nos Églises locales doivent-elles conserver tous leurs bâtiments ou bien doivent-elles accepter de vendre là des locaux pour mieux rayonner ici ou ailleurs ? 

Guillaume de Clermont

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