Folles idées

Crampoisic, la fin d’une belle aventure*

01 avril 2020

La dissolution de l’association Crampoisic vacances loisir (CVL) lors de son assemblée générale du 8 février marque la fin d’une époque, la fin d’une aventure qui a duré soixante-huit ans où se sont forgés dans la mémoire des uns et des autres de riches moments de partages et de rencontres qui ont marqué plusieurs générations.

C’est en 1952 qu’est loué sur la commune de St-Mayeux ce magnifique manoir destiné à accueillir le Comité protestant de colonie de vacances de Bretagne, créé pour l’occasion.
Jacqueline Roux-Marquer, fille de Paul Marquer, pasteur à St-Brieuc, se souvient de cette période des débuts de Crampoisic : « Nous avons passé des dimanches dans la poussière de ce château pour nettoyer, trier et jeter beaucoup de vieilleries. Cette grande maison somptueuse allait devenir un lieu de colonies mémorables. De Crampoisic, nous marchions jusqu’au lac de Guerlédan pour aller y nager. Les colonies étaient animées comme des camps scouts : lever des couleurs, services partagés, grands jeux à thèmes ».

Un coin rêvé

Né de l’engagement de beaucoup de membres de l’Église réformée des Côtes-d’Armor, Crampoisic devient vite le lieu de rencontres des paroisses de St-Malo, St-Servan et Brest. Des groupes d’autres régions, d’autres Églises et du scoutisme le fréquentent. En 1964, c’est le pasteur Jean-Marc Kieffer qui « dirige les opérations ». Crampoisic s’ouvre encore en 1965 en accueillant la Croix-Bleue chère au pasteur Albert Trubert.
En 1955, le Conseil presbytéral de St-Brieuc avait émis le souhait d’acheter la propriété. C’est chose faite en 1966 avec le soutien de toutes les Églises de Bretagne.
Un article publié dans Le Protestant Atlantique (ex. Protestant de l’Ouest) décrit l’endroit : « C’est une vieille maison en très mauvais état, dont le toit est à refaire, dont les possibilités en eau ne suffisent pas aux deux mois de colonies qui s’y tiennent chaque année. L’absence de chauffage en empêche l’utilisation en hiver. La cuisine n’est pas des plus modernes ! » mais « de l’avis des moniteurs de la colonie M. et Mme Martineau, Crampoisic est un coin rêvé pour une colonie de vacances […] Certes on est loin d’y trouver le confort, mais d’un autre côté, dans le cadre de cette vieille maison pleine de mystères, peut se développer […] un sympathique climat familial. Crampoisic, c’est aussi un parc de trois hectares avec quelques arbres, des buissons et beaucoup de ronces ». 
Beaucoup de membres des communautés se mobilisent pendant plusieurs années pour venir bricoler et l’aménager. En 1972, une grosse tranche de travaux est effectuée. Crampoisic est en plein développement, occupé neuf mois sur douze par de nombreux groupes dont des touristes comme ces cinquante personnes venues d’Alès. Une session du Service civil international accueille quarante-sept Irlandais. C’est le début de la « grande époque » : En juillet 1974, le centre accueille soixante enfants, et quinze adultes le font fonctionner : huit moniteurs, un directeur, un directeur adjoint, un cuisinier, quatre aides. Tous sont rémunérés.

Un art de vivre

En janvier 1978, lors de l’assemblée générale à Crampoisic, un débat s’engage sur le nom de l’association. Le problème de fond qui est posé est de faire disparaître ou non l’étiquette protestante trop visible et qui empêche de bénéficier de subventions de la Jeunesse et des sports ou de la Caisse d’allocations familiales. Dans le souci d’accroître l’audience, le changement de nom est décidé. L’association propriétaire du manoir s’appelle désormais Crampoisic, Vacances, Loisirs
Le compte-rendu du Conseil presbytéral de St-Brieuc du 19 juillet 1979 évoque bien cet « art de vivre » à Crampoisic : « Pourquoi se plaît-on à Crampoisic ? Entre autres raisons, parce qu’il est possible d’y venir en famille, que la relation y est plus aisée qu’ailleurs et surtout que l’on peut s’exprimer tout en ayant la certitude d’être écouté ».
Si la maison est bien remplie, la gestion en est lourde et au début des années 80 est déjà évoquée la vente du manoir. Le pasteur Guy Froment de St-Brieuc démontre la pertinence de ce lieu central pour les paroisses de Bretagne et pousse à sa mise aux normes. À partir de 1991, une très longue série de week-ends Kt (catéchisme) commence : de grands moments dans la mémoire des jeunes du consistoire de Bretagne.

Un outil plus pertinent

Mais il faut mettre aux normes ! Autour de « piliers » (Guy Froment, Élisabeth Letournel, Charles Destouches, Jacques Sire, Daniel Homburger), ils sont nombreux pour faire vivre ce lieu. L’aventure Crampoisic n’aurait pu être sans tous ces bénévoles qui, tout au long de ces années, se sont engagés sans compter. Ils ont donné une âme à cette maison : évoquons parmi tant d’entre eux Alain Borderon et toute l’équipe qu’il fédéra dans de grands moments de fraternité sacrément efficaces.
Mais dans ce monde en grande évolution, Crampoisic est de moins en moins un « outil » pertinent. Les colonies protestantes de vacances ont disparu et les Églises n’utilisent plus le lieu qu’à peine une vingtaine de jours par an. C’est le fisc qui nous place devant la réalité : « Votre activité principale est la location de salles ».
À partir de 2010, autour de Clémence Seyrig, le Conseil d’administration comme les paroisses s’interrogent sur leur engagement dans cette structure. En 2016, le manoir finira par cesser ses activités et est mis en vente.
Nous voulons remercier ici Clémence Seyrig, Jean Leteuf, Alain Baillergeau et Honoré Juniet d’avoir eu le courage et la ténacité de tourner la dernière page du chapitre Crampoisic.
Mais le livre du protestantisme breton n’est pas fini. Celui-ci vit un réel dynamisme qui demande encore l’investissement de tous. Il nous revient d’écrire de nouvelles aventures… à la Grâce de Dieu.

* Cet article a été rédigé en grande partie grâce aux informations collectées par Richard Fortat. Elles sont disponibles sur son blog (https://histoireprotestants22.blogspot.com). Nous vous invitons à visiter ce site très riche et à compléter par vos documents et témoignages l’histoire de cette belle aventure qu’est Crampoisic.

Hervé Stücker

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