Histoire

Deux sièges difficiles à un demi-siècle d’intervalle

01 février 2020

Si les sièges qui ont marqué l’histoire de La Rochelle sont largement connus, malheureusement bien d’autres cités de la région ont été également frappées. Saint-Jean-d’Angély occupe sur la liste une place de choix, dans la mesure où à un demi-siècle de distance, en 1569 et 1621, la ville a été concernée par deux sièges d’envergure conclus par la victoire des assaillants.

Au XVIe siècle, la cité, active et peuplée, est touchée par les rapides progrès du calvinisme en Aunis et Saintonge. Quand commencent les guerres de religion, à Saint-Jean-d’Angély la communauté protestante est beaucoup plus nombreuse que sa rivale catholique. L’autorité royale surveille alors de manière sourcilleuse une cité qui peut rapidement devenir rebelle. C’est une forteresse, que le roi de France ne peut se permettre de voir tomber entre des mains subversives ! Or les huguenots deviennent bel et bien les maîtres de la cité.

Un affrontement intense

Si la ville avait déjà connu des sièges, celui de 1569, par les forces en présence et l’intensité des combats, les éclipse largement.
En octobre 1569, le très jeune roi Charles IX, fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, vient en personne sommer la ville de se rendre et, face à son refus, en entreprend le siège. Commandée par le duc d’Anjou et le maréchal de Vieilleville, l’armée royale est nombreuse et dotée d’une puissante artillerie. Dans la fièvre, les défenseurs se hâtent de consolider les murailles. Leur chef, Clermont de Piles, sait galvaniser ses troupes. Il reçoit une aide très appréciée de la part de l’amiral de Coligny, qui lui envoie 500 arquebusiers et 300 piquiers.
Le 16 octobre l’affrontement commence. Il va être âpre et intense. Les assaillants, grâce à l’explosion de mines, parviennent à ouvrir quelques brèches, très vite colmatées par les défenseurs. Ces derniers n’hésitent pas à contre-
attaquer en tentant plusieurs sorties, elles aussi vouées à l’échec. Signe des temps, la férocité des combats n’exclut pas totalement la courtoisie : ainsi, pendant une trêve, des officiers protestants sont invités à une fête donnée par leurs adversaires !
Malgré leur vaillance, au fil des semaines les assiégés souffrent de plus en plus. Le nombre des tués et des blessés augmente rapidement, tandis que la fatigue et la faim liée au blocus font des ravages de plus en plus graves. Le sentiment d’isolement et d’abandon provoque du découragement, les Rochelais ne pouvant plus envoyer de renforts. Par ailleurs, si les remparts souffrent des tirs de l’artillerie royale, de nombreuses maisons sont également atteintes : le moral des habitants, parmi lesquels d’assez nombreux catholiques, est de plus en plus durement atteint. Mais en cette fin d’automne et en ce rude début d’hiver, les assiégeants souffrent également, en raison entre autres de problèmes de ravitaillement.
Dans ces conditions, des négociations s’engagent. Le roi, qui veut en finir, estime que la ville peut accepter une reddition honorable.

Une reddition dans l’honneur

C’est ainsi que le 2 décembre les huguenots, en grande difficulté, capitulent, mais à des conditions qui préservent leur honneur : les défenseurs vont en effet évacuer la ville-forteresse dans l’ordre, en emmenant leurs armes, bagages, chevaux et enseignes. En acceptant de s’éloigner de la région, ils conservent leur liberté. Le lendemain, le roi Charles IX fait son entrée dans Saint-Jean-d’Angély. Contrairement à ce qui se passait souvent dans ce genre de situation, la ville soumise n’est pas mise en coupe réglée, et donc relativement ménagée. C’est ainsi que les fortifications ne sont pas démantelées.
Marqué par plusieurs milliers de victimes, surtout dans le camp catholique, ce siège semble au final un échec évident pour les calvinistes. Mais il doit être relativisé, dans la mesure où le parti huguenot a montré sa capacité de résistance et où ces six semaines de siège ont fourni à l’amiral Coligny et aux autres chefs protestants, dans une période pour eux difficile, un répit apprécié.
Durant les décennies qui suivent, la cité panse ses blessures, sans connaître durant la fin des guerres de religion d’autres péripéties aussi tragiques. En 1598, date de la signature par Henri IV de l’Édit de Nantes, elle figure sur la liste des places de sûreté concédées aux protestants. Alors, son redressement dans tous les domaines, économique entre autres, se confirme. Affirmant, c’est vrai, sa loyauté vis-à-vis du pouvoir royal la ville, gérée par les calvinistes, n’en retrouve pas moins à l’ombre de La Rochelle une place éminente dans la communauté calviniste de la région.
Après 1610 et la disparition du bon roi Henri, la situation dans le domaine religieux en France se dégrade rapidement. Louis XIII, son successeur, ne peut être qu’influencé par les catholiques, les plus durs, qui déplorent les clauses d’un édit royal trop favorable aux calvinistes. C’est la position, entre autres, de son favori De Luynes, longtemps très puissant. Bien avant l’arrivée au pouvoir en 1624 du cardinal de Richelieu, qui va accélérer le mouvement, la tension augmente inexorablement. Que les protestants puissent constituer « un État dans l’État » n’est plus toléré. Dans ces conditions, une révolte ouverte de plusieurs de leurs communautés du Midi, en 1620, déclenche la répression. Elle va concerner plus particulièrement l’Aunis et la Saintonge, et s’étaler sur plusieurs années, jusqu’au « grand » siège de La Rochelle de 1627-1628.

Une situation sans issue

Un demi-siècle après, l’histoire va être à peu près la même. Louis XIII se retrouve de nouveau à la tête d’une forte expédition militaire.
Le nouveau siège de Saint-Jean-d’Angély débute à la mi-mai 1621. L’armée royale dispose d’une puissante artillerie. Ses chefs doivent déplorer qu’en 1559 Charles IX n’ait pas ordonné la destruction des fortifications, car, dûment restaurés, les remparts constituent de nouveau un obstacle redoutable. Alors que le maréchal de Brissac commande les forces d’attaque, la défense est organisée avec vigueur par le baron de Soubise.
Comme en 1559, les combats vont être acharnés. Plusieurs assauts se révèlent inefficaces, comme d’ailleurs une tentative de sortie. De nouveau, les restrictions de nourriture et d’eau, la fatigue pénalisent les assiégés, mais plusieurs facteurs vont accélérer la baisse de leur moral. D’abord le constat de leur isolement : cette fois ils ne reçoivent aucune aide de l’extérieur ; La Rochelle ne peut rien. Par ailleurs, l’artillerie royale cause, semble-t-il, encore plus de dégâts que lors du siège précédent : les habitations, la population civile souffrent beaucoup. De plus, les assiégés sont vite minés par la désunion, la minorité catholique, entre autres, intriguant pour faire cesser les hostilités. Enfin, l’annonce de la prise par l’armée royale du château de Taillebourg, proche, ne peut qu’affaiblir le moral des défenseurs.
Après de nouveau six semaines d’affrontement, la situation pour les assiégés est donc sans issue. Ils sont amenés à signer leur capitulation, le 26 juin. Les termes ressemblent à ceux de 1659 : ainsi les troupes calvinistes sortent de la cité avec les honneurs. Mais cette fois, sage précaution pour le roi, les fortifications vont être rasées !
Pour la ville meurtrie, un effet de cumul va jouer : après ce second siège en quelques décennies, la cité, militairement annihilée, connaît une période économiquement difficile. Phénomène aggravant, un tiers de siècle plus tard la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 va entraîner, comme ailleurs, l’exil d’une partie de la population protestante, avec celui de nombreux notables.

Vue aérienne d’une partie du centre-ville de St-Jean-d’Angély, autour de l’abbaye royale
© Jacques Dassié-Wikipédia
 

 

Gérard Blier
historien, agrégé de l’Université

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