Protes'Temps-Pensée

Henri Bois : Penser la guerre

05 octobre 2018

Le mois dernier, nous avons fait connaissance avec un théologien philosophe protestant montalbanais du début du vingtième siècle, Henri Bois. Avec ce deuxième volet, nous poursuivons notre connaissance, notamment du côté de la guerre et du pacifisme.

Comment Henri Bois, le philosophe et théologien protestant de Montauban, pense-t-il la guerre ?

Ce jour-là, le 11 novembre 1917, rentrant le matin même d’une visite auprès de sa fille Henriette, à Paris, Henri Bois (1862-1924), doyen de la Faculté de théologie de Montauban, prend le temps de jouer à l’harmonium familial, chez lui, au n°7 faubourg du Moustier, à Montauban, lorsque, vers 13 h 15, entendant le son de cloches, l’intuition a jailli en lui : « C’est l’Armistice ! La cloche aiguë et grêle de Sapiac, la cloche grave de la Cathédrale ! Toutes les cloches y sont ! ». Après avoir installé leurs drapeaux, il sort avec Henriette, son épouse, errant dans les rues, passant devant la mairie, fermée avec sur la porte une affiche manuscrite : « Fermée en raison de la victoire ! ». Ils rencontrent des amis qui les félicitent de ce qu’enfin ils sont assurés de conserver sains et saufs tous leurs fils. Bois s’est retenu pour ne pas fondre en larmes… « Comment ne pas être reconnaissant en pensant à nos fils épargnés ? », écrira-t-il deux jours après, le 13 novembre, dans une de ses lettres de direction spirituelle. La réflexion d’Henri Bois sur la guerre part essentiellement, à mon avis, de son expérience existentielle de père ayant des fils engagés dans la bataille. Que pense-t-il de la guerre ?

Les cloches du temple et de la Cathédrale de
Montauban à l'unisson pour l'Armistice@wikimedia.org

Pacifisme intégral ou guerre juste ?

La Guerre de 14-18 a suscité la question de la légitimité de toute guerre. Si, outre-Rhin, beaucoup de prédicateurs et de théologiens affirmaient que « la guerre est sainte et d’institution divine », qu’elle soit « une guerre d’attaque ou de défense », le protestantisme français était plutôt divisé. Certains, à partir du Sermon sur la Montagne, défendaient un pacifisme non-violent et dénonçaient toute forme de guerre. D’autres se référaient au Premier Testament pour justifier la guerre sainte ordonnée par Dieu pour son peuple. Henri Bois ne se dérobe pas à cette question. Dans sa réflexion, il distingue les propos de Jésus sur la justice divine et ceux sur la justice éducative, de laquelle relève l’éthique humaine dans le vivre-ensemble du temps présent. Dans un cahier biblique de Foi et Vie, sur Jésus et la justice, en 1917, Bois rejette la rupture que des auteurs, comme Tolstoï par exemple, érigent entre la morale de droit et la morale chrétienne de pur amour. Pour Bois, Jésus enseigne, en plus de la grâce qui concerne la relation à Dieu, une éthique de justice et de droit pour ce qui relève des relations entre les créatures. « L’économie actuelle, dit-il, n’est pas une économie de rétribution, mais une économie d’éducation » (Jésus et la justice, p.90), pour le salut de tout homme.

Jean Lasserre, un des partisans du pacfisme
radical@wikimedia.org

Un moyen exceptionnel, le médecin d’un peuple

Parfois, la guerre peut devenir une solution de moindre mal, un « moyen exceptionnel de défense imposé par l’épuisement des voies pacifiques… un mal passager, par crainte d’un mal plus durable ou plus grand » (Jésus et la guerre, p.9). Dans l’économie actuelle, l’homme apprend à chercher la solution la moins pire, en attendant la vraie paix promise, à venir. Le 26 octobre 1916, Bois prêche que « si le Christ est si belliqueux… c’est justement parce qu’il est pacifique… pour obtenir et pour assurer… la seule paix digne d’être cherchée et possédée… celle qui suit la victoire du Christ » (La guerre de Jésus, p.2). L’action du Christ commence par résoudre, voire exacerber les forces conflictuelles au sein de la personne humaine, mais c’est pour la vraie paix. Selon Bois, la guerre défensive est légitime, mais pas la guerre de conquête. L’amour du prochain implique de défendre ceux qu’on aime. Condamner la guerre défensive, c’est comme ne pas recourir au médecin, mais se contenter de prier lorsqu’un proche est malade. Pour Bois, « Dieu a besoin de la collaboration humaine » (Jésus et la guerre, p.13). Celui qui veut apprendre à aimer l’humanité doit commencer par aimer sa famille, puis sa patrie. Bois fonde cet amour de l’humanité dans la maxime de l’impératif catégorique de Kant ; il est impossible de traiter l’humanité comme une fin, sans l’aimer.

Pour Bois, Jésus n'est pas contre la violence. Il
cherche la vraie paix (Jordaens)@wikimedia.org

Kant et l’Allemagne

En France, des philosophes thomistes ont pointé du doigt la philosophie allemande et spécialement celle de Kant ; « les penseurs catholiques faisaient depuis longtemps profession de détester Kant ». Bois relève notamment les propos de l’évêque de Versailles, qui écrit dans une lettre pastorale de Carême 1915, faisant allusion aux « atrocités allemandes » d’août 1914 : « Les Allemands prussifiés se sont mis à la rencontre de Luther et de ses héritiers légitimes : Kant, Strauss, Haeckel, Nietzsche, Harnack, tous foncièrement anticatholiques. Nous les voyons à l’œuvre en Belgique et dans nos provinces du Nord » (Kant et l’Allemagne, p.6-7). Le 4 février 1916, lors d’une conférence Foi et Vie, à la salle d’Horticulture à Paris, Bois, en tant que représentant protestant du néocriticisme français (une relecture de la philosophie kantienne), défend Kant en rappelant que, pour ce dernier, l'indépendance du plus petit peuple est sacrée : « Aucun État indépendant ne peut être acquis par un autre, par voie d'héritage, d'échange, d'achat ou de donation... Un État n'est pas, en effet, un bien ; c'est une société d'hommes… » Kant n’aurait jamais cautionné les atrocités accomplies par le pangermanisme, puisque, pour lui, « nul État ne doit se permettre, dans une guerre avec un autre, des hostilités qui rendraient impossible, au retour de la paix, la confiance réciproque, comme, par exemple, l'emploi d'assassins, d'empoisonneurs… Ce sont là de honteux stratagèmes..., des pratiques infernales, qui sont infâmes par elles-mêmes... Tous les moyens de défense sont permis à un État à qui l'on fait la guerre, exceptés ceux dont l'emploi rendrait ses sujets indignes du rang de citoyens ; car alors il se rendrait lui-même indigne de compter pour une personne » (Kant et l’Allemagne, p.78-79). Ces propos de Kant, repris par Bois, légitiment la guerre défensive, lorsqu’un État subit des atrocités infâmes ou de l’injustice qui l’amènent à défendre les plus vulnérables de sa population.

Henri Bois a rétabli la pensée de Kant, fortement
critiquée par les catholiques@wikimedia.org

Aimez vos ennemis…

Comment alors décider concrètement, face aux tirs de l’ennemi, s’il faut riposter ou non ? Pour Bois, « lorsque Jésus dit : Aimez vos ennemis il interdit la haine, mais il ne précise pas la nature et le degré, la nuance, l’intensité de cet amour ». Il n’a pas ordonné : « Aimez vos ennemis autant ou plus que vos amis ». De plus, pour Bois, la vie n’est pas le bien suprême, puisqu’elle vient après le salut. Assassiner l’autre pourrait-il le sauver ? Face au terrorisme, au regain du repli identitaire et à la régression de la bienveillance, quelle éthique adopterons-nous ? La loi de destruction mutuelle serait-elle le destin inéluctable des peuples, qui accordent une dignité ultime à la race, au sang, au sol, au clan, à la tribu et la famille ? « L’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l’amour le peut. » (Martin Luther King).

Mino Randria,
Pasteur à Toulouse.

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