Histoire

Jacques Planta, un jeune pasteur à Vierzon

01 mars 2017

Des liens forts se sont établis en Europe durant le XIXe siècle. Des émigrants suisses ont été des vecteurs d’un renouveau du protestantisme français, ainsi que des populations anglo-saxonnes. Les mouvements n’étaient pas à sens unique : l’itinéraire d’une famille suisse montre les aller et retour possibles.

Je me rappelle bien le jour où j’ai ouvert ma messagerie pour trouver, de la part d’une généalogiste locale, Solange Voisin, le message suivant : Chère Madame, Je vous avais parlé d’un pasteur du XIXe siècle, dont une fille est née à Vierzon en 1866. L’acte de naissance a été trouvé en faisant les relevés d’état civil de Vierzon, et l’arrière petit-fils de ce pasteur, qui est anglais, l’a trouvé sur mon site Genvierzon et m’a écrit (…). Cela nous a amenés à quelques échanges de courriels qui m’ont permis de reconstituer le parcours de ce pasteur, apparemment très actif. (…) je vous envoie les mails échangés, car ils nous renseignent sur la manière dont l’Église évoluait à cette époque, au milieu de bouleversements politiques qui n’en finissaient pas. (…).

Un ministre du saint Évangile

Cette correspondance donne des indications passionnantes, même si de nombreuses questions persistent. Car le constat est sans conteste : cette région autrefois fortement marquée par le protestantisme n’a pas pu, au XIXe siècle, retrouver sa vigueur. Et ceci malgré un contexte local qui est marqué par l’apport de nombreux industriels protestants qui donnent une dynamique importante ; ils participent à cet élan qui propulse le Cher parmi les premiers départements français du point de vue économique.

Un pasteur aurait habité à Vierzon à cette époque ? Aucun document édité à ce jour n’en faisait état, aucune trace de presbytère. Mais l’extrait de naissance disait que le père de cette petite fille était bel et bien Ministre du saint Évangile. Le releveur de l’acte s’était tourné vers la généalogiste : connaissait-elle un tel métier ? Solange Voisin avait bien repéré les grandes familles bourgeoises des alentours : les Pillivuyt (porcelainiers à Foëcy et Mehun sur Yèvre) et les banquiers Neuflize à Brinay. Selon la tradition orale, le pasteur venait prêcher d’Asnières-lès-Bourges, dans l’après-midi. Et le temple de Vierzon n’est édifié qu’à la fin du XIXe siècle… Qu’est-ce qui fait arriver ce pasteur à Vierzon-même ?… et pourquoi est-il reparti ?

Heureusement les descendants anglais étaient tenaces. Ils ont répondu avec force détails à notre généalogiste : Je suis Anglais et j’habite dans le nord de l’Angleterre. La famille Planta était du canton des Grisons. (…) La ville où Jacques est né s’appelle Coire/Chur. (…) Je ne sais pas si vous avez connaissance de cet historien très connu à Quimper qui s’appelle Serge Duigou, mais j’ai eu la bonne chance de faire sa connaissance il y a deux ou trois semaines quand j’ai visité Quimper. C’est un expert sur sa ville et aussi sur l’évolution de l’Église réformée en Bretagne.

Voici ce que Serge Duigou écrit à notre Anglais : Effectivement, les Planta faisaient partie du mouvement migratoire vers la Bretagne venu des Grisons en Suisse au début du XIXe siècle. Il y avait alors des pâtissiers suisses dans toutes les grandes villes bretonnes. Ulrich Planta (associé à un autre suisse, son beau-frère Jacques Stéphany) a ensuite quitté la pâtisserie pour devenir brasseur de bière (il faisait aussi de la limonade et tenait un établissement de bains) sur la rive gauche de l’Odet, au pied du mont Frugy. (…) Jacques Planta, né le 20 août 1828 à Susse (Engadine), fut le fondateur de l’Église protestante de Lorient, c’est à lui que les réformés doivent le temple de la ville, inauguré au printemps 1864.

Un pasteur auxiliaire

Désormais, il était facile de faire le lien ! Car le pasteur Planta a son petit paragraphe sur le blog de l’historien Jean-Yves Carluer Protestantsbretons. Citons-le : Mais c’est Jacques Planta qui œuvra le plus dans la province. Alors que ses parents étaient paroissiens de James Williams à Quimper, le jeune homme se sentit appelé au ministère. Il fut envoyé en formation en 1851 à Genève, à l’École de théologie évangélique de Merle d’Aubigné. Dès 1852, de retour en Bretagne en tant qu’évangéliste, il s’établit à Lorient, alors annexe de l’Église méthodiste galloise. Il avait interrompu ses études à Genève de façon un peu expéditive pour rentrer plus vite au pays, mais cela n’empêcha pas les pasteurs bretons de le consacrer officiellement le 7 août 1853. Après avoir été pasteur de Lorient jusqu’en 1865, il continua son ministère quelque temps à Vierzon puis à Moulins.

Nous n’avions plus qu’à tirer « le fil de la pelote ». Dans les registres du consistoire de Bourges se trouve, en date du 19 janvier 1865, une curieuse notice à la fin d’un compte-rendu bien écrit, avec un rajout de trois lignes, d’une écriture minuscule. Nous y devinons, plus que nous ne le déchiffrons, et grâce aux noms connus, que le consistoire avait fait appel à Planta de Lorient comme pasteur auxiliaire. Monnier, en concertation avec la Société centrale (d’évangélisation), en aurait fait la proposition. Nous connaissons ce Monnier comme théologien, enseignant à la faculté protestante de Strasbourg. Nous savons également qu’il était propriétaire de l’usine de porcelaine de Foëcy dont il a épousé l’héritière, une fille de la dynastie André-Walter.

La manière d’insérer la notice juste au-dessus des signatures des pasteurs indique que le paragraphe n’est pas « d’origine ». Il est probable qu’une situation intervenue avant la session du consistoire de décembre 1865 devait être « régularisée ».

Une implantation éphémère

Mais ce pasteur suisse-breton n’a pas fait long feu dans le Cher ! Jean-Yves Carluer nous indique que Jacques Planta, après un passage par Moulins qui (selon les registres du consistoire) réclame un pasteur depuis un temps certain, passa en 1866 son baccalauréat en théologie à Montpellier et fut agrégé à l’Église vaudoise l’année suivante. Il demeura alors comme pasteur en Suisse jusqu’à sa mort le 12 janvier 1886 à Curtilles (Vaud).

Que reste-t-il de ce passage à Vierzon ? Une maigre notice dans les registres de l’état civil de Vierzon. Car une certaine Marie Augustine Boucher, veuve Planta, décède en 1911 à Vierzon. Cela fait écho à une notice dans le journal de la grand-mère de notre chercheur anglais : elle avait noté que Jacques Planta, le pasteur, et sa femme Marie Campiche avaient eu cinq garçons qui étaient tous décédés. Est-ce que l’un d’eux aurait épousé une fille du pays avant de mourir ailleurs ? L’acte de naissance de la petite Emma Hermine Planta nous donne un autre indice : les témoins de sa naissance n’étaient pas des gens du cru, mais un porcelainier mosellan, et le directeur du gaz.

Cette plongée dans les documents anciens confirme mon hypothèse initiale : l’implantation du protestantisme dans la vallée de l’Yèvre, entre Vierzon et Mehun-sur-Yèvre, était spectaculaire en ce qui concerne les bâtiments, mais elle est restée superficielle. Les convictions protestantes étaient parachutées par quelques familles fortunées, venues d’ailleurs. Même des fortes personnalités de pasteurs comme Jacques Planta ont dû partir plus loin dans leur vocation de Ministre du saint Évangile.

Extrait de l’acte de naissance d’Emma Planta sur lequel est mentionné le nom de son

père et son qualification : Jacques Planta, Ministre du Saint Évangile 

En savoir plus

http://genvierzon.free.fr/expoactes/acte_naiss.php?xid=3192663&xct=6308

Angelika Krause

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