Histoire

Le protestantisme et la pensée politique

01 avril 2017

Minorité parmi d’autres, en France, le protestantisme se considère souvent comme étant aux racines de la démocratie. De fait, si l’histoire de l’émancipation des protestants a accompagné celle du peuple français de la Révolution à la IIIe République, le lien n’est pas si évident. Et aujourd’hui, le protestantisme peut-il offrir quelques pistes à une réflexion politique ?

Restons modestes, nous ne pouvons célébrer sans réserve l’esprit d’autonomie et de démocratie du protestantisme. Compromission, domination, violence ou refus du monde : les relations entre protestantisme et politique ne sont pas univoques. Limitons notre propos au protestantisme français. L’histoire de cette minorité a conduit ses membres à prendre progressivement leurs distances avec les pouvoirs à prétention absolutiste. Mais il a fallu du temps pour que les huguenots considèrent que le roi n’était pas trompé par ses ministres, trahissant sa vocation de père de ses sujets, et pour que la pression spirituelle subie par les petites gens déborde la prudence des notables et les engage au refus du despotisme. Enfin, il faut se souvenir que quand les protestants ont été appelés au pouvoir dans les périodes de transition républicaine, c’était souvent pour servir les nouveaux dominants.

Remettre le politique à sa juste place
Rarement avant-garde unique de la démocratie, le protestantisme français a été partie prenante d’une évolution démocratique de notre pays, à une place plus ou moins modeste selon les temps et les interprétations. Nous sommes restés une minorité aux effets limités.

Alors, le protestantisme aurait-il un rôle à jouer dans un temps où se multiplient justement les déceptions vis-à-vis du fonctionnement politique ? Nous avons une vision désacralisée du pouvoir politique. Dans ce sens, nous pourrions promouvoir une nouvelle phase du rapport au politique, faire en sorte que l’on n’aboutisse pas à un rejet du politique, mais à le mettre à sa juste place. Nous pourrions être de ceux qui rappellent les ravages de la politique du chef et l’illusion d’une identité unique, de ceux qui jugent encore positive l’attention aux minorités, de ceux qui défendent la négociation permanente, qui valorisent la recherche du compromis raisonnable.

©Lucile

Défendre l’égale dignité de chacun
Est-ce que notre protestantisme, comme spiritualité, comme compréhension de la personne et de la société, du rapport au monde et au temps, pourrait être d’un intérêt quelconque ? Nous pouvons trouver aujourd’hui, dans notre manière de comprendre le message biblique, des indications pour nous situer plus justement dans le temps présent. Ce message est celui de la grâce, c’est-à-dire de l’égale dignité de chaque personne, d’une dignité devant Dieu qui ne dépend pas du regard et du jugement des autres. Personne ne peut être enfermé dans un statut, aucun échec ne peut être considéré comme définitif, aucune gloire ne peut être tirée d’une réussite sociale quelconque. S’il doit être question de responsabilité dans le protestantisme, c’est d’une responsabilité collective et partagée dans des groupements volontaires. Nous l’expérimentons dans la vie des Églises, nous voulons qu’elle se développe jusqu’à des sociétés entières.

Favoriser les lieux de formation partagée
Cette égale dignité de chaque personne devrait nous questionner sur notre manière de construire et de déléguer le pouvoir. Plutôt que de penser que la démocratie se résume à l’élection de quelques prétendus compétents, il pourrait être fécond de travailler à la participation du plus grand nombre. La façon dont Jésus forme sa troupe de disciples de personnes sans éclats, la manière dont la première communauté remplace Judas par tirage au sort, les messagers de l’apôtre Paul qui peuvent être des esclaves, tout cela indique que la dignité et les capacités ne se réduisent pas au statut social et aux qualifications techniques. Aussi, plutôt que de condamner l’assistanat, de considérer les pauvres comme incapables d’exercer leurs responsabilités, il faudrait peut-être créer des lieux de formation partagée, de travailler à des groupements volontaires de personnes pour changer le fonctionnement d’un quartier, d’un territoire. Il est légitime de revendiquer des instances de contrôle et de participation des usagers. Il est important de soutenir les initiatives de coopérations locales entre producteurs et consommateurs.

Semer les signes d’un avenir possible
Mais au-delà, il est sûrement besoin d’imaginer des formes plus vivantes d’un exercice collectif du souci du bien commun. Il y a des formes de maîtrise partagée à imaginer, entre l’appropriation par une minorité et la gestion centralisée et étatique. C’est sans doute un des enjeux de l’avenir si nous voulons éviter une nouvelle montée des inégalités.

Le protestantisme a été souvent considéré comme moderne, progressiste. Mais nous oublions qu’il a d’abord été une réponse à l’urgence d’une angoisse spirituelle et aux questionnements d’une société en pleine transformation. Aussi, nous n’avons pas à accompagner le monde tel qu’il va (peut-être vers l’abîme ?), mais à chercher de nouvelles voies nous fondant sur la belle simplicité des évangiles. Nous n’avons pas à croire à un progrès automatique, mais à tenter de semer dès maintenant les signes d’un avenir possible. Le Royaume n’est pas pour après, il se vit dès aujourd’hui.

 

Olivier BRÈS
pasteur à la retraite, président du Comité national de la Mission populaire évangélique de France

Commentaires