Libraires et imprimeurs protestants de la France atlantique
Le retour à l’Écriture seule est un élément important de la rupture luthérienne puis calvinienne avec l’Église romaine et l’imprimé s’impose comme un canal de diffusion de la dissidence en rappelant que le geste fondateur luthérien consiste à l’affichage de thèses théologiques.
Légendaires, les représentations de cet acte ont installé le protestantisme dans une geste écrite. Très tôt, l’Église est là où l’Écriture est lue, enseignée, chantée. Mais, pour beaucoup d’auditeurs, l’adhésion se fait par la parole du prédicateur. Il ne pouvait pas en être autrement dans des sociétés européennes où ceux et celles qui savent lire et écrire sont très minoritaires.
Un support d’autorité
Pour la minorité réformée en France, le livre, la feuille imprimée, le placard, est un marqueur d’expression religieuse. Dans une société où les élites sont travaillées par la nécessité de l’instruction, pour assurer à leurs enfants de sexe masculin des parcours professionnels dans un État qui se bureaucratise et une économie qui se dote d’instruments de gestion plus sophistiqués, une nouvelle ambition éducative se développe qui n’écarte pas toutes les femmes, dont certaines devenues mères participent à l’apprentissage des jeunes adultes ! Dans un marché éditorial qui diffuse des produits chers et fragiles, quel défi médiatique ! Aux XVIe et XVIIe siècles, l’écrit est d’abord un support qui donne autorité au « lisant-écrivant ». On comprend pourquoi dès l’année 1520, où la justice royale entame en France un long parcours de chasse aux livres « hérétiques », donc à ceux et celles qui les fabriquent, les stockent, les vendent et les diffusent. Trente années d’édits répressifs dont les rappels réguliers attestent de l’inefficacité. En 1550, le grand vicaire de l’évêque de Saintes interdit l’exposition, la mise en vente et l’utilisation de livres prohibés à La Rochelle. |
Une implantation à l’ouest
Les principales études sur le livre et la lecture aux XVIe et XVIIe siècles ont porté sur les provinces à l’est d’une ligne allant de la Normandie au Languedoc. Ces provinces possèdent trois atouts : des villes riches et nombreuses, des collèges à la pédagogie rénovée et touchant un public scolaire de plus en plus large, des échanges denses avec les états limitrophes du royaume et qui ne se limitent pas aux trafics commerciaux mais s’enrichissent d’échanges artistiques et intellectuels. À l’ouest de cette ligne, les villes portuaires, maritimes et fluviales, sont progressivement touchées par le développement des échanges atlantiques à la fois entre le nord et le sud de l’Europe et transocéaniques avec les entreprises américaines, de Terre-Neuve au Brésil : croissance économique, enrichissement, brassage social.
À partir des années 1530, la dissidence protestante s’installe dans ces sociétés urbaines et se développe plus particulièrement en Normandie, en Poitou, en Aunis, en Saintonge, en Guyenne au contact du royaume de Béarn. Mais c’est surtout avec l’installation de Jeanne d’Albret et des Grands du parti huguenot à La Rochelle en 1568 qu’émerge sur les bords de l’océan atlantique une capitale de l’imprimerie protestante d’où sortiront des ouvrages politiques, théologiques et religieux essentiels dans la construction d’une piété et d’une culture réformées. Un développement important Le livre est un objet qui doit être fabriqué. Inventé en Europe au siècle précédent dans la vallée rhénane, l’impression par caractères mobiles reste au XVIe siècle un secteur innovant. En France c’est Guillaume Fichet, le bibliothécaire de la Sorbonne qui introduit le premier atelier d’imprimerie par l’établissement d’imprimeurs allemands. |
Des ateliers s’installent dans des villes de province, parfois de manière éphémère sous la forme d’ateliers mobiles.
Paris et Lyon s’imposent avec près de 90 % de la production dans le premier tiers du XVIe siècle. Mais, progressivement les grandes villes rentrent dans la géographie de l’imprimerie en France. Un développement qui n’a été possible que par d’importants investissements (presses, papier, encre et surtout caractères de qualité sont coûteux) et la formation professionnelle d’apprentis et de compagnons. Les maîtres débauchent les plus habiles ouvriers qui sont de plus exigeants quant à leurs salaires et conditions de travail. Les conflits sont durs à Paris et à Lyon sous le règne de François Ier.
Un art au service des idées nouvelles
Afin d’assurer une production régulière, le libraire-imprimeur chasse le privilège octroyé par la chancellerie royale et les cours souveraines qui leur donne un véritable monopole commercial pendant une période donnée. Fort de cette assurance, il peut alors se lancer dans la production d’ouvrages aux ventes moins assurées ou ne concernant qu’une petite clientèle ou… une diffusion clandestine. Un nombre important d’imprimeurs met leur art au service des idées nouvelles humanistes et évangéliques. Beaucoup devront quitter le royaume et se réfugier le plus souvent à Genève. Des ateliers entiers, maîtres et ouvriers, se convertissent.
À partir de Genève, un flux incessant de colporteurs déverse des ouvrages dans le royaume de France. Le psautier huguenot, dans la traduction de Clément Marot et de Théodore de Bèze, est le premier best-seller de l’édition française ! Des imprimeurs importants se sont établis à La Rochelle au cours des années 1560 (Barthélémy Berton, Pierre Haultin et leurs successeurs). Des livres « hérétiques » sont retrouvés dans les effets des corsaires protestants chassant le bateau catholique. La clause imposée par Richelieu aux Rochelais que seul un protestant né dans la ville pouvait y résider empêche la cité de renouveler la main-d’œuvre spécialisée et contraint les libraires à faire imprimer ailleurs leurs ouvrages (Niort, Saumur, Quevilly). |
L’édition protestante doit faire face alors à l’action des presses catholiques (Angoulême, Bordeaux etc.) qui portent en Aquitaine la Contre-Réforme.
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