Histoire

Libraires et imprimeurs protestants de la France atlantique

01 avril 2018

Le retour à l’Écriture seule est un élément important de la rupture luthérienne puis calvinienne avec l’Église romaine et l’imprimé s’impose comme un canal de diffusion de la dissidence en rappelant que le geste fondateur luthérien consiste à l’affichage de thèses théologiques.

Légendaires, les représentations de cet acte ont installé le protestantisme dans une geste écrite. Très tôt, l’Église est là où l’Écriture est lue, enseignée, chantée. Mais, pour beaucoup d’auditeurs, l’adhésion se fait par la parole du prédicateur. Il ne pouvait pas en être autrement dans des sociétés européennes où ceux et celles qui savent lire et écrire sont très minoritaires.

Un support d’autorité

Pour la minorité réformée en France, le livre, la feuille imprimée, le placard, est un marqueur d’expression religieuse. Dans une société où les élites sont travaillées par la nécessité de l’instruction, pour assurer à leurs enfants de sexe masculin des parcours professionnels dans un État qui se bureaucratise et une économie qui se dote d’instruments de gestion plus sophistiqués, une nouvelle ambition éducative se développe qui n’écarte pas toutes les femmes, dont certaines devenues mères participent à l’apprentissage des jeunes adultes !
Dans un marché éditorial qui diffuse des produits chers et fragiles, quel défi médiatique ! Aux XVIe et XVIIe siècles, l’écrit est d’abord un support qui donne autorité au « lisant-écrivant ». On comprend pourquoi dès l’année 1520, où la justice royale entame en France un long parcours de chasse aux livres « hérétiques », donc à ceux et celles qui les fabriquent, les stockent, les vendent et les diffusent. Trente années d’édits répressifs dont les rappels réguliers attestent de l’inefficacité. En 1550, le grand vicaire de l’évêque de Saintes interdit l’exposition, la mise en vente et l’utilisation de livres prohibés à La Rochelle.
 
Les psaumes de David, La Rochelle, Hierosme Haultin, 1606 © MRHP

 Une implantation à l’ouest

Les principales études sur le livre et la lecture aux XVIe et XVIIe siècles ont porté sur les provinces à l’est d’une ligne allant de la Normandie au Languedoc. Ces provinces possèdent trois atouts : des villes riches et nombreuses, des collèges à la pédagogie rénovée et touchant un public scolaire de plus en plus large, des échanges denses avec les états limitrophes du royaume et qui ne se limitent pas aux trafics commerciaux mais s’enrichissent d’échanges artistiques et intellectuels. À l’ouest de cette ligne, les villes portuaires, maritimes et fluviales, sont progressivement touchées par le développement des échanges atlantiques à la fois entre le nord et le sud de l’Europe et transocéaniques avec les entreprises américaines, de Terre-Neuve au Brésil : croissance économique, enrichissement, brassage social.

Philippe de Mornay, De l’institution, usage et
doctrine du Saint Sacrement de l’Eucharistie,
La Rochelle, H. Haultin, 1598
© MRHP
 

À partir des années 1530, la dissidence protestante s’installe dans ces sociétés urbaines et se développe plus particulièrement en Normandie, en Poitou, en Aunis, en Saintonge, en Guyenne au contact du royaume de Béarn. Mais c’est surtout avec l’installation de Jeanne d’Albret et des Grands du parti huguenot à La Rochelle en 1568 qu’émerge sur les bords de l’océan atlantique une capitale de l’imprimerie protestante d’où sortiront des ouvrages politiques, théologiques et religieux essentiels dans la construction d’une piété et d’une culture réformées.

Un développement important

Le livre est un objet qui doit être fabriqué. Inventé en Europe au siècle précédent dans la vallée rhénane, l’impression par caractères mobiles reste au XVIe siècle un secteur innovant. En France c’est Guillaume Fichet, le bibliothécaire de la Sorbonne qui introduit le premier atelier d’imprimerie par l’établissement d’imprimeurs allemands.  

Des ateliers s’installent dans des villes de province, parfois de manière éphémère sous la forme d’ateliers mobiles.
Paris et Lyon s’imposent avec près de 90 % de la production dans le premier tiers du XVIe siècle. Mais, progressivement les grandes villes rentrent dans la géographie de l’imprimerie en France. Un développement qui n’a été possible que par d’importants investissements (presses, papier, encre et surtout caractères de qualité sont coûteux) et la formation professionnelle d’apprentis et de compagnons. Les maîtres débauchent les plus habiles ouvriers qui sont de plus exigeants quant à leurs salaires et conditions de travail. Les conflits sont durs à Paris et à Lyon sous le règne de François Ier.

Un art au service des idées nouvelles

Afin d’assurer une production régulière, le libraire-imprimeur chasse le privilège octroyé par la chancellerie royale et les cours souveraines qui leur donne un véritable monopole commercial pendant une période donnée. Fort de cette assurance, il peut alors se lancer dans la production d’ouvrages aux ventes moins assurées ou ne concernant qu’une petite clientèle ou… une diffusion clandestine. Un nombre important d’imprimeurs met leur art au service des idées nouvelles humanistes et évangéliques. Beaucoup devront quitter le royaume et se réfugier le plus souvent à Genève. Des ateliers entiers, maîtres et ouvriers, se convertissent.

À partir de Genève, un flux incessant de colporteurs déverse des ouvrages dans le royaume de France. Le psautier huguenot, dans la traduction de Clément Marot et de Théodore de Bèze, est le premier best-seller de l’édition française !
Des imprimeurs importants se sont établis à La Rochelle au cours des années 1560 (Barthélémy Berton, Pierre Haultin et leurs successeurs). Des livres « hérétiques » sont retrouvés dans les effets des corsaires protestants chassant le bateau catholique. La clause imposée par Richelieu aux Rochelais que seul un protestant né dans la ville pouvait y résider empêche la cité de renouveler la main-d’œuvre spécialisée et contraint les libraires à faire imprimer ailleurs leurs ouvrages (Niort, Saumur, Quevilly). 
   
Marque de l’atelier Haultin, XVIe siècle, coll privée
© MRHP

L’édition protestante doit faire face alors à l’action des presses catholiques (Angoulême, Bordeaux etc.) qui portent en Aquitaine la Contre-Réforme. 

  Cet article est extrait de deux journées d’études qui se sont tenues les 9 et 10 novembre à La Rochelle dans le cadre de la commémoration du 500e anniversaire de la naissance de la Réforme protestante. Elles étaient organisées par le Musée rochelais d’histoire protestante (MRHP), la médiathèque Michel Crépeau (MMC) et les archives départementales de la Charente Maritime (ADCM). La thématique du livre a été choisie car le livre a été au cœur des expositions du MRHP (Libraires et imprimeurs protestants de La Rochelle, XVIe-XVIIe siècles), de la MMC (Impressions rochelaises, le livre et la Réforme protestante, 1562-1628) et elle est très présente dans celle des ADCM (Huguenots d’Aunis et de Saintonge de la Réformation à la Révolution) qui expose pour la première des pièces extraites des archives de l’Église protestante unie de La Rochelle déposées il y a deux ans et dont un inventaire est en cours.
La publication de ces journées en 2019 dans la revue Enquêtes et Documents (CRHIA, Presses Universitaires de Rennes) témoignera de la richesse de ces journées dont les débats attestent qu’il reste de belles recherches à mener notamment pour suivre ce que sont devenues les éditions et les bibliothèques privées et institutionnelles protestantes de ces provinces atlantiques.

 

Didier Poton

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