Nous avons levé le tabou de l’argent ! 

04 mai 2017

Regardé avec curiosité ou scepticisme, le partage des richesses en entreprise s’expérimente à Colombelles. Rencontre avec Pascal Rouet, catéchète à l’EPU de Caen

 

Pascal Rouet, vous êtes ingénieur électronique, formé en administration des entreprises. Fin 2012, avec 5 autres collaborateurs, vous avez décidé de fonder votre propre structure. Pour quelles raisons ?

Elles recoupent celles que peuvent connaître un certain nombre de personnes de la tranche 40-45 ans, très investies dans leur travail, soudainement confrontées à des décisions stratégiques qui leur semblent dénuées de sens au point de remettre en cause tout leur engagement. Certaines peuvent connaître le burn out, aller jusqu’au suicide, ou cesser de s’investir davantage. Ayant été confronté à un tel changement, j’ai décidé d’envisager autre chose et rencontré d’autres personnes qui partageaient avec moi des constations similaires : nous avons une compétence et il y a beaucoup à inventer. Notre prise de risque - il a fallu investir - a été bien accompagnée. Nous travaillons désormais à 14.

Quel est l’objectif de cette entreprise ?

Il consiste à réaliser les rêves de nos clients ! Nous travaillons avec des PME normandes, souvent des leaders mondiaux dans leur domaine qui nous contactent pour l’amélioration de leurs produits. Nous mettons à leur service un apport technique et industriel, ce qui représente l’exercice de 12 métiers différents. 

Et en même temps, cette entreprise diffère des autres …

Elle est atypique en ce sens que les fondateurs ont décidé de lever le tabou de l’argent et d’être salariés à parts égales. Face à ceux qui regardent cette expérience avec curiosité ou intérêt, ou qui estiment qu’elle ne peut être viable, nous sommes très fiers, de montrer que cela est possible. 

Est-ce que cela nécessite des profils particuliers ?

Cela regroupe trois valeurs que je juge chrétiennes : la bienveillance, l’écoute et la responsabilité. La bienveillance signifie que lorsque quelqu’un rencontre des difficultés, on ne lui dit pas : c’est de ta faute, on l’aide. Il est possible de faire des erreurs et d’en tirer une leçon. L’écoute, c’est accepter de recevoir le message que nous envoie un autre que l’on ne voudrait pas forcément écouter parce qu’il est différent de ce que l’on attendait, mais qui permet au bout du compte d’avancer. Quant à la responsabilité, elle est un principe qui parle aux protestants. 

Comment les personnes qui ont été embauchées par la suite vivent-elles cet état d’esprit ?

ll faut être lucide : il y a les fondateurs et les employés. Mais chacun a été recruté en raison de ses compétences et aussi de son caractère (dont nous pouvons nous rendre compte lors d’un stage). Et foncièrement, il ne s’agit pas d’une question d’entreprise, mais de personne, d’éducation (je ne suis pas sûr que cela soit une question de religion). Pour vous donner un exemple, nous nous sommes tous réunis pour envisager la répartition de la prime de fin d’année. La règle, pour reprendre celle qui prévaut puisque nous sommes quotidiennement appelés à prendre des décisions rapides, était d’arriver à trouver en une heure, pas une minute de plus, un consensus. Passée la première surprise de ceux qui n’auraient pas pensé être associés à la décision, l’exercice a été très intéressant. Il a montré la multiplicité des critères à prendre en compte : le temps de travail, la place des stagiaires, l’ancienneté, les difficultés pécuniaires de certains, etc. Le fait que nous soyons une petite structure a permis que chacun ait une vision globale, de comprendre et de partager la décision finale. 

Ce type d’entreprise peut-il être exporté ?

Cela dépend beaucoup des personnes, mais cela peut être exporté dans tous les domaines.  Cela nécessite un savant équilibre entre le fait que le travail ait du sens et s’effectue avec plaisir (même s’il y a dans chaque métier une part toujours désagréable), l’efficacité indispensable et surtout la considération, la reconnaissance fondée sur la valeur effective de la personne et non uniquement, comme c’est trop souvent le cas en France, sur son diplôme. Les chrétiens ont la responsabilité de transmettre un tel état d’esprit et les valeurs afférentes. 

 

 

 

Eric Trocmé
Rédacteur en chef de Parole protestante en Basse-Normandie

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