Une lecture de Matthieu 20, 1-16

Pourquoi travailler?

29 mars 2020

En quoi le « juste salaire » questionne-t-il le sens du travail pour moi ?

Matthieu 20,1-16 (Traduction Parole de Vie)

Un matin, un propriétaire sort tôt afin d'engager des travailleurs pour sa vigne. Il convient avec eux de leur payer le salaire habituel, une pièce d’argent par jour. Et il les envoie travailler dans sa vigne.

À neuf heures du matin, il sort de nouveau. Et il voit d’autres chômeurs sur la place sans rien faire. Il leur dit : « Allez, vous aussi, je vous embauche dans ma vigne et je vous donnerai un juste salaire. » Et ils y vont.

À midi, le propriétaire sort encore, puis à trois heures de l’après-midi. Et il fait de même.

Enfin, vers cinq heures du soir, il sort et trouve encore d’autres chômeurs sur la place. Il leur demande :

  • - Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans rien faire ?

  • - Parce que personne ne nous a engagés, répondent-ils.

  • - Eh bien, allez, vous aussi, je vous embauche dans ma vigne.

Le soir, le propriétaire de la vigne dit à son contremaître : « Appelle les ouvriers et remets à chacun son salaire. Tu commenceras par les derniers engagés et tu termineras par les premiers engagés. »

Ceux qui s’étaient mis au travail à cinq heures du soir viennent alors et reçoivent chacun une pièce d’argent.

Quand arrive le tour des premiers engagés, ils pensent qu’ils vont recevoir plus ; mais on leur remet aussi à chacun une pièce d’argent. En la recevant, ils critiquent le propriétaire et disent : « Ces ouvriers engagés en dernier n’ont travaillé qu’une heure et tu les as traités comme nous qui avons supporté la fatigue d’une journée entière de travail sous un soleil brûlant ! » Mais le propriétaire répond à l’un d'eux : « Mon ami, je ne te cause aucun tort. Tu as convenu avec moi de travailler pour une pièce d’argent par jour, n’est-ce pas ? Prends donc ton salaire et va-t’en. Je veux donner à ce dernier engagé autant qu’à toi. N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon argent ? Ou bien es-tu jaloux parce que je suis bon ? »

Ainsi, ajoute Jésus, ceux qui sont les derniers seront les premiers et ceux qui sont les premiers seront les derniers.

Je vous offre les multiples émerveillements que ce texte de la parabole des ouvriers de la dernière heure m’a fait vivre. Sa lecture m’a questionné à plusieurs reprises.

Comme toute parabole, notre texte met en relation le lecteur avec le récit, en lui donnant sens.

Ma première lecture, dans mon enfance, m’a fait penser à un Dieu tout-puissant qui donne ce qu’il veut à qui il veut, et qui, dans son omniscience et son absolue justice, rétribue chacun. J’étais émerveillé devant un tel Dieu.

Ma deuxième lecture, au moment où j’ai découvert le monde du travail, m’a questionné sur ce soi-disant « juste salaire » des travailleurs. À quoi bon travailler mieux ou plus si tout le monde gagne le même salaire au bout de la journée ou du mois ? Une telle « juste » injustice m’avait embarqué dans un révoltant ébahissement pendant un temps.

Puis vint ma lecture d’aujourd’hui, qui me questionne encore. Quel est le sens du travail dans notre monde postmoderne ? Au fond, quel est le sujet humain du Règne de Dieu que cette parabole fait advenir en moi ?

L’homme et la modernité

Il y eut un temps où l’humain, dit « moderne », travaillait pour pouvoir vivre de la liberté que son salaire allait lui procurer. Ce fut un temps où le travail faisait l’homme et où la technique structurait sa vie. Par le travail, l’homme s’affranchissait de la nature en la transformant au profit de ses intérêts.

Aujourd’hui, l’homme ne souhaite plus se faire une identité uniquement par le travail mais davantage par la consommation, par les loisirs, par l’art ou par la réflexion. Dans l’un ou l’autre cas, la raison économique oppose le travail au non-travail. Or notre parabole me permet de comprendre que le travail ou la consommation sans le repos, où le maître recouvre tout par sa grâce, ne permettrait pas l’accomplissement par la justice du maître.

La seule grâce de Dieu

On a pu interpréter notre parabole en disant qu’elle est centrée sur le mérite égal de tout travail devant Dieu. J’y lis quant à moi non pas l’idée de mérite, mais la bonté souveraine de Dieu qui accueille, en Christ, dans son règne, même les pécheurs tard venus.

Le « juste salaire », accordé en reconnaissance du fait que chacun ait accepté l’invitation du maître à participer au vivre ensemble dans sa vigne, questionne mon attente humaine de justice rétributive. Mon « plus ton front sue, plus tu manges » ne fonctionne pas ici. La parabole me fait changer de registre : dans le règne de Dieu, sa grâce ne dépend ni des œuvres ni de la qualité ou quantité de travail accomplies. Je ne peux pas enfermer la justice de Dieu dans ma logique humaine. Il est libre de dispenser sa grâce à qui il veut, indépendamment des compétences, des performances ou des convictions de chacun.

Cette bonté gratuite de Dieu suscite chaque fois en moi, dans mon intériorité, un sujet humain rempli d’une plénitude débordante de gratitude. Elle me libère du besoin de me faire un nom par mon travail ou par ma consommation. Elle me donne le courage de m’engager dans le vivre ensemble au sein de l’humanité et de la création !

Mino Randriamanantena
pasteur à Toulouse

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