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Parole publique protestante

D’une parole d’Église aux paroles personnelles

26 août 2024

Alors que la parole protestante était largement portée par de grandes personnalités, des prises de position plus institutionnelles ont marqué la fin du siècle dernier. L’émergence actuelle d’une multiplicité d’interventions individuelles s’adapte aux nouveaux enjeux de société, au risque de l’émiettement.

Schweitzer, Bonhoeffer, Ricœur et tant d’autres ont marqué le siècle dernier par des prises de parole fortes, étayées sur la Bible et fondées sur les grands principes du protestantisme.

 

Une parole qui compte

Ces prises de position dans le débat public correspondaient aux nécessités du temps. Elles offraient des cadres suffisants pour agir concrètement et accompagner la création de grandes associations et missions, aussi diverses que le Défap, les missions populaires ou la Croix Bleue.

Relayée par cette nébuleuse, la parole des Églises n’en fut que plus audible dans le débat public ; au risque cependant de s’y noyer et d’y perdre une part de la référence protestante d’origine. Nombre d’œuvres protestantes bâties sur une parole humaniste issue du protestantisme ont ainsi rejoint le tissu associatif, évoquant simplement leur origine protestante. Mais d’une manière générale, le protestantisme a su se faire entendre bien au-delà de sa faible proportion dans la population française. Au point qu’encore maintenant, une parole d’Église soit attendue sur les questions d’éthique et de société touchant la vie des individus. La participation des religions au récent débat sur la fin de vie en est un exemple.

 

Coller au débat

L’être protestant étant naturellement portée à la réflexion critique, les prises de position institutionnelles des Églises étaient bien entendu relayées, analysées, relativisées dans les milieux ecclésiaux. Des expressions comme « quel synode ! » pour qualifier certains débats houleux ou « trois protestants quatre opinions » pour relativiser l’opinion émise par tel président d’Église indiquent combien la science du débat est ancrée dans les esprits.  

Plus récemment, avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux, la parole des institutions s’est faite plus ramassée, concise et fréquente. La technique permet d’adresser en quelques mots au monde entier des avis instantanés et ciblés. Alors que les interventions se situaient essentiellement sur les grands sujets du moment, elles portent aujourd’hui sur des thèmes plus précis, jusqu’à coller au terrain de l’actualité et aux soubresauts des événements. Si elle gagne en pertinence immédiate, elle risque de perdre en hauteur de vue et devenir ainsi peu audible.

 

Reconnecter les paroles

Une autre caractéristique de la parole publique protestante est sa prolifération par une multitude d’acteurs, selon les possibilités qu’offrent les réseaux et les médias. Valorisant l’étude et la responsabilité individuelle, le protestantisme génère une participation accrue des chrétiens dans le débat public. Cela favorise la pluralité des expressions, mais dessert la lisibilité des opinions. Ainsi, lorsqu’une parole institutionnelle est émise, son autorité n’est plus forcément reconnue.

Le résultat est un étonnant constat de déconnexion. De nombreux acteurs individuels prennent position et entretiennent des liens croisés par le biais de réseaux, sites Internet et autres blogs, mettant en scène leurs réflexions sur la société et le protestantisme. À côté de ce maillage interpersonnel, se développent des moyens ecclésiaux ou associatifs plus construits (radios, sites d’Églises, presse, newsletter, etc.). Ils forment leur propre réseau de parole et d’influence. Entre ces deux maillages, très peu de liens existent, même si ce sont parfois les mêmes personnes qui alimentent l’un à titre individuel, l’autre à titre professionnel.

 

Le risque est ici l’émiettement de la parole publique. Car la science du débat chère aux Églises de la Réforme n’est plus convoquée lorsqu’il s’agit de prises de positions personnelles ; chacun parle en son nom, abolissant la nécessité d’une confrontation à l’opinion d’autrui. Le rôle des Églises semble donc être aujourd’hui de favoriser la nuance et d’éduquer à la pluralité de sens, comme elles le font pour l’exégèse biblique ou la théologie.

Marc de Bonnechose
Pasteur

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