Histoire

Des logis chargés d’histoire

01 mars 2020

L’association Maison du protestantisme poitevin, qui gère le musée du Poitou protestant à Beaussais et le Centre Jean Rivierre à La Couarde, organise régulièrement des visites telles que la « Balade des logis », à la découverte de nouveaux logis. Nous vous faisons découvrir ici deux logis privés du Mellois en Poitou.

Un point commun anime ces deux logis puisque certains des propriétaires, habitants ou personnages emblématiques de ces lieux se sont retrouvés mentionnés dans la « correspondance secrète des pasteurs du Désert en Poitou ». Le cahier manuscrit permettant de la décoder porte le nom de « Vocabulaire secret » et fut probablement rédigé par le pasteur Pougnard vers 1760. Il s’agit d’un langage codé composé de 1087 mots qui permettait aux pasteurs ou amis de la foi protestante de pouvoir échanger des informations sous couvert d’anonymat.

La Guillotière

Une riche histoire entoure le logis de La Guillotière situé à Saint-Léger-de-la-Martinière dont les premières mentions remonteraient au XIVe siècle. Plusieurs familles se sont succédé pour sa possession dont les La Forest, les d’Orfeuille et les Vasselot propriétaires depuis 1556 !

Quelques anciennes archives permettent d’établir qu’au XIVe siècle le domaine de La Guillotière appartenait à la famille Thibault de La Forest vers 1360. Leur petite-fille Jeanne de Cazelis apporta par sa dot La Guillotière à son mari Guyot Faidy. Leur fille Marie, dame de La Guillotière, par son mariage en juin 1406, à Giraud d’Orfeuille amène le logis dans cette lignée. Marie d’Orfeuille rend hommage pour le domaine de la Guillotière le 21 juillet 1435 à la duchesse de Châtellerault, ce qui induit que le domaine lui était inféodé.  
Logis de La Guillotière © MPP

Ceci sera confirmé en 1506 lorsque Jean d’Orfeuille, écuyer et seigneur de La Guillotière, rendra également hommage de son hôtel et forteresse de la Guillotière à la duchesse de Châtellerault. Son fils Antoine d’Orfeuille aura deux filles avec Marie Jousseaume, toutes deux épouseront des Vasselot. Bonaventure, l’aînée, épousera Marin Vasselot en 1556, c’est par sa dot que la Guillotière se retrouve dans la famille de Vasselot, malheureusement ils n’eurent pas de descendance et légueront le domaine à leur neveu Jacques, fils de Marie (la cadette) et Eutrope Vasselot.
C’est en 1828 que se jouera le destin de sa propriété actuelle. Alexis de Vasselot, un descendant d’Eutrope et Marie, se trouve être célibataire et ne souhaite pas que son bien tombe dans l’oubli. Il retrouvera dans son arbre généalogique de lointains cousins, Sélima de Vasselot de La Chesnaye et Gabriel de Vasselot de Régné, dont l’ancêtre commun vivait au XIVe siècle. Alexis proposa de leur donner le domaine de La Guillotière en cadeau de mariage s’ils se mariaient. Ce qui fut le cas en 1828, c’étaient les arrière-arrière-grands-parents du propriétaire actuel. Mais cette histoire de succession ne doit pas pour autant faire oublier d’autres événements qui se déroulèrent durant la période du « Désert » (fin XVIIe – XVIIIe siècle).
C’est notamment dans un des moulins du domaine que la traque de Pierre Micheau, « passeur » vers les pays de l’exil, notamment l’Angleterre, se termina. Il fut, en 1715, le dernier martyr huguenot pour la foi en Poitou sous le règne de Louis XIV. Les deux dernières années de sa vie sont assez bien documentées, tout comme les motifs de sa condamnation, grâce au dossier du procès du passeur Sauzeau et aux interrogatoires.
C’est également ici que Pierre Granet, meunier, fut arrêté sur fausse accusation d’avoir été lecteur à la première assemblée de Melle du 19 février 1719 qui aurait rassemblé entre 500 et 600 personnes. On retrouve sa sentence dans le « Manuscrit » De l’Orte, publié sous le titre Berthelot, le huguenot insaisissable chez La Geste. Il sera déporté au Canada, colonie pénitentiaire de l’époque.

Brégion

Le deuxième logis est celui de Brégion à Sepvret dont la première archive date de 1573.

Logis de Brégion © MPP
  Étymologiquement, le nom de Brégion signifierait « point haut qui offre asile ». Il s’agit d’un logis qui s’apparente à une modeste habitation que les seigneurs du lieu conservaient comme simple pied-à-terre sans vraiment y avoir résidé. L’ensemble des documents témoigne qu’il était géré et habité la majorité du temps par un fermier général. On notera tout de même la mention d’une chapelle dont quelques vestiges subsistent encore ; l’ordre de construction fut donné sous la propriété de Françoise du Puy du Fou vers 1686 et elle portera le vocable de Notre-Dame.

Marguerite d’Authon, veuve du premier propriétaire, François Bellucheau, épousa en secondes noces vers 1580 Jacques Constant. Ce dernier est connu pour être un gentilhomme huguenot avec une forte influence chez les calvinistes. Il s’est illustré en sauvant la vie d’Henri de Navarre, futur Henri IV, lors de la bataille de Coutras en 1587. En effet, Henri, roi de Navarre, avait saisi Château-Renaud, un des chefs catholiques, et lui criait : « Rends-toi philistin ! » À ce moment surgit un gendarme de Sansac qui voulut frapper du tronçon de sa lance sur la salade (casque) royale, c’est alors que Constant l’arrêta. Ce fait se trouve narré dans L’histoire universelle d’Agrippa d’Aubigné.
Ce logis fut pendant un temps la propriété de Suzanne de Baudéan, illustre famille connue sur le territoire pour avoir possédé le château de La Mothe-Saint-Héray. Elle était très proche de la Cour, elle fut notamment la marraine de madame de Maintenon, fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche puis dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse, première épouse de Louis XIV. Avec son mari Philippe de Montault de Bénac, duc de Navailles, ils se sont attiré les foudres du roi, en faisant murer une porte. En effet, ils avaient remarqué que Louis XIV empruntait, à la nuit tombée, une porte dérobée du palais pour se rendre dans la chambre des filles d’honneur. Le roi se trouvant alors bien démuni se mit en rage. Il les exclut de la Cour, mais grâce à l’intervention d’Anne d’Autriche, ils se retrouvèrent au gouvernement de La Rochelle et du Pays d’Aunis.
Son petit-fils l’abbé de Rothelin, propriétaire de Brégion fut également en possession du manuscrit « l’Anti-Lucrèce » du cardinal de Polignac, écrit réfutant les thèses « atomistes » du poète et philosophe romain du Ier siècle avant J.-C., reprenant lui-même les idées d’Épicure, philosophe grec du IVe siècle av. J.-C.. À une époque où le contexte politico-religieux se crispe, le concept proposant la notion d’un univers composé uniquement d’atomes et de vide était inconcevable avec toute foi chrétienne.

En savoir plus

Sources :
- J. Rivierre, Dictionnaire des familles protestantes
- H. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles de l’ancien Poitou
- De l’Orte, Berthelot, le huguenot insaisissable
- T. Maillard, Vocabulaire secret des pasteurs du Désert en Poitou, Bulletin historique et littéraire de la société historique du protestantisme français, vol.38, no5

Aude Baranger,
animatrice Maison du protestantisme poitevin

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