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Théologie des œuvres ou théologie de l’œuvre ?

01 avril 2020

Plongée au cœur de la Bible sur les questions du travail, des œuvres et de leur sens pour l’humain.

 

© Jaona Ram
Travail et célébrations sont liés ; ici une louange à Dieu

Dans la Bible

Tout commence par un certain réalisme quant au sens du travail. On n’est plus dans le paradis et c’est avec peine que l’on tirera la nourriture de la terre et mangera du pain (Gen 3.19). Ce réalisme est soutien à l’ordre de la société : « celui qui se relâche dans son travail est frère de celui qui détruit » (Prov 18.9). Mais cet ordre est social : celui qui opprime le travailleur, qui prive les humains d’un travail et des moyens de vivre est violemment condamné (Dt 24.14-15 ; Jc 5.1-5). De ce point de vue terre à terre, le travail apparaît comme une simple nécessité, il n’est pas une « loi naturelle », un projet de Dieu pour l’homme. Mais relus avec l’appel de Paul à rester dans sa condition (1 Co. 7.17-24), ces passages ont inspiré l’idée que le travail, plus qu’une simple nécessité, pouvait être considéré comme un mandat de Dieu pour l’humain, un des sens voulu pour sa vie : une vocation, grand thème de Luther puis Calvin. Une des théologies des œuvres… même si elles ne sauvent pas.

D’autres textes, utopistes et radicalement anti-travail, contestent cette vision des choses. La fin des temps arrive bientôt, le travail n’a plus de sens et il faut prendre exemple sur les oiseaux du ciel et les lys des champs (Mt 6.25-26) qui « ni ne sèment ni ne moissonnent » n’amassent rien dans des greniers : « Votre Père céleste les nourrit ! ». Paul s’en prend à cette oisiveté par enthousiasme messianique qui se développe dans la communauté de Thessalonique : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ! » (2 Thes 3.6). Ces textes vont nourrir tous les courants radicaux, utopistes jusqu’aux hippies chrétiens des années 1970…

La question du sens du travail

Elle se pose entre ces deux pôles, quand il ne s’agit ni d’une obligation, ni d’une aberration.

Dieu confie à l’humain de garder et cultiver son jardin (Ge 2.8) quand bien même les arbres poussent tout seuls et rien ne les menace ; comme Dieu l’a fait, il est proposé à l’humain de travailler six jours et de consacrer le septième à l’adoration de Dieu (Ex 20.8) : le travail, comme toutes les réalités du monde, est orienté vers le culte, une pure célébration de la gloire, de l’amour de l’humain pour Dieu et réciproquement. Cela n’exclut pas la dimension sociale : pour les prophètes (Jr 22.13 ; Am 2.6-7) l’injustice commise envers les travailleurs est une des figures de l’infidélité à Dieu.

Le terme d’œuvre

Il dit bien la question du sens du travail. De l’Ancien Testament jusqu’à Jean et Paul, ce terme est très présent dans la Bible – autant que le terme travail. L’œuvre est d’abord de Dieu, mais aussi des humains par réponse et responsabilité. Nous œuvrons mais Dieu œuvre aussi en nous : l’œuvre est le lieu de la collaboration avec Dieu. L’œuvre pose la question de qui est célébré par notre action : Dieu ou les idoles ? Notre gloire ou la sienne ? Si elle ne nous sauve pas, l’œuvre et son sens nous épanouit ou nous perd. Une théologie de l’œuvre.

Aujourd’hui, le travail est en crise en raison du développement de postes de travail qui n’ont guère de sens (du magasinier au trader), où les conditions de travail font agir contre le sens du métier (santé, social, police), où les collectifs de travail sont détruits par des méthodes managériales qui isolent et mettent en concurrence. L’exode vers de nouveaux projets – ouvrir son restaurant, se lancer dans l’agriculture bio, devenir sophrologue ou pasteur… – dit un retour en force de l’envie de faire œuvre, produire plus grand que soi, épanouissant et bon pour les autres. Travailler avec son prochain comme soi-même, en quelque sorte…

 
Stéphane Lavignotte théologien, pasteur de la Mission populaire à la Maison Ouverte de Montreuil (93)

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