Rubicon : ne pas franchir
Une corde trop courte n’atteindra jamais le fond du puits, dit la sagesse populaire. C’est vrai, certaines limites, telle la vitesse de la lumière, sont des bornes infranchissables, et il faut bien s’en accommoder. D’autres nous agacent parce qu’elles semblent restreindre nos libertés, même si elles se fondent sur l’intérêt collectif : limitations de vitesse, confinement, etc. Il en est d’autres encore qu’on cherche à vaincre pour se surpasser, comme les athlètes aux J.O.
Les limites, interprétées aujourd’hui comme des frontières, désignaient autrefois les sentiers entre deux terrains, à la fois lignes de démarcation et chemins de servitude. Quant aux bornes, c’étaient des blocs de pierre déli- mitant un territoire. Une terre sans bornes ni limites était donc disponible, ou à la merci de potentiels envahisseurs, mais a contrario dépasser les bornes faisait courir des risques...
Depuis quelques années, une autre expression fait florès : la notion de « ligne rouge », particulièrement utile en politique et en stratégie militaire. Si vous envisagez de transgresser certaines lignes rouges, la menace est lourde, et tout retour en arrière sera impossible . L’usage de « franchir une ligne rouge » semble évincer maintenant « dépasser les bornes ». Mais d’où vient cette expression ?
On en trouve diverses occurrences à l’époque moderne. En 1998 comme titre du film mythique The red line de Terrence Malick. En 1928 pour désigner le Red line agreement, lorsque fut tracée d’un coup de crayon rouge une fron- tière à l’ancien empire ottoman. Ou encore en 1854, pour évoquer la bataille de Balaklava en Crimée, en raison de la ligne que constituaient les uniformes rouges des Britanniques.
Mais la véritable source se trouve peut-être dans l’histoire d’une expression tombée en désuétude : « franchir le Rubicon », et remonterait donc à... Jules César, le 11 janvier 49 av. J.C. : le Rubicon, petit fleuve italien, dont le nom signifie « rivière rouge », séparait la Gaule du territoire romain, et constituait une frontière que la loi romaine interdisait de franchir à la tête d’une armée. Mais César, adversaire du consul Pompée, méprisa cet interdit pour éliminer Pompée et partir à la conquête de l’Espagne.
Ce coup de force restera dans l’histoire, et « franchir le Rubicon » sera syno- nyme de transgression d’une ligne rouge. Ah, cette tentation de tremper son doigt dans le pot de confiture du pouvoir sera donc éternelle ! mais n’est pas César qui veut...
Sommaire N°199 - Novembre 2024
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